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des idées

Th. Si l’habile auteur, qui s’explique ainsi avec vous, Monsieur, déclarait qu’il lui a plu d’assigner cette présente définition arbitraire nominale aux noms de vertu et de vice, on pourrait dire seulement que cela lui est permis en théorie pour la commodité de s’exprimer, faute peut-être d’autres termes ; mais on sera obligé d’ajouter que cette signification n’est point conforme à l’usage, ni même utile à l’éducation, et qu’elle sonnerait mal dans les oreilles de bien des gens, si quelqu’un la voulait introduire dans la pratique de la vie et de la conversation, comme cet auteur semble reconnaître lui-même dans la préface. Mais c’est aller plus avant ici, et quoique vous avouiez que les hommes prétendent parler de ce qui est naturellement vertueux ou vicieux selon des lois immuables, vous prétendez qu’en effet ils n”entendent parler que de ce qui dépend de l’opinion. Mais il me semble que par la même raison on pourrait soutenir qu’encore la vérité et la raison et tout ce qu’on pourra nommer de plus réel, dépend de l’opinion, parce que les hommes se trompent, lorsqu’ils en jugent. Ne vaut-il donc pas mieux à tous égards de dire que les hommes entendent par la vertu comme par la vérité ce qui est conforme à la nature, mais qu’ils se trompent souvent dans l’application ; outre qu’ils se trompent moins qu’on ne pense ; car ce qu’ils louent le mérite ordinairement certains égards. La vertu de boire, c’est-à-dire de bien porter le vin, est un avantage, qui servait à Bonosus à se concilier les barbares et à tirer d’eux leurs secrets. Les forces nocturnes d’Hercule, en quoi le même Bonosus prétendait lui ressembler, n’étaient pas moins une perfection. La subtilité des larrons était louée chez les Lacédémoniens, et ce n’est pas l’adresse, mais l’usage qu’on en fait mal à propos, qui est blâmable ; et ceux qu’on roue en pleine paix pourraient servir quelquefois d’excellents partisans en temps de guerre. Ainsi tout cela dépend de l’application et du bon ou mauvais usage des avantages qu’on possède. Il est vrai aussi très souvent et ne doit pas être pris pour une chose fort étrange, que les hommes se condamnent eux-mêmes, comme lorsqu’ils font ce qu’ils blâment dans les autres, et il y a souvent une contradiction entre les actions et les paroles, qui scandalise le public, lorsque ce que fait et que défend un magistrat, un prédicateur, saute aux yeux de tout le monde.

§ 12. Ph. En tout lieu ce qui passe pour vertu est cela même qu’on juge digne de louange. La vertu et la louange sont souvent désignées par le même nom Sunt hic etiam sua præmia laudi, dit