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des idées

que j’en ai, comme ayant été faite par moi-même, que je le suis pour ce que je viens de faire dans le moment précédent.

Th. Cette opinion d’avoir fait quelque chose peut tremper dans les actions éloignées. Des gens ont pris pour véritable ce qu’ils avaient songé ou ce qu’ils avaient inventé à force de le répéter ; cette fausse opinion peut embarrasser, mais elle ne peut point faire qu’on soit punissable si d’autres n’en conviennent point. De l’autre côte, on peut être responsable de ce qu’on a fait, quand on l’aurait oublié, pourvu que l’action soit vérifiée d’ailleurs.

§ 17. Ph. Chacun éprouve tous les jours que tandis que son petit doigt est compris sous cette conscience, il fait autant partie de soi-meme (de lui) que ce qui y a le plus de part.

Th. J’ai dit (§ 11) pourquoi je ne voudrais point avancer que mon doigt est une partie de moi ; mais il est vrai qu’il m’appartient, et qu’il fait partie de mon corps.

Ph. Ceux qui sont d’un autre sentiment diront que ce petit doigt venant à être séparé du reste du corps, si cette conscience accompagnait le petit doigt et abandonnait le reste du corps, il est évident que le petit doigt serait la personne, la même personne, et qu’alors le soi n’aurait rien à démêler avec le reste du corps.

Th. La nature n’admet point ces fictions, qui sont détruites par système de l’harmonie ou de la parfaite correspondance de l’âme et du corps.

§ 18. Ph. Il semble pourtant que, si le corps continuait de vivre et d’avoir sa conscience particulière, à laquelle le petit doigt n’eût aucune part, et que cependant l’âme fût dans le doigt, le doigt ne pourrait avouer aucune des actions du reste du corps, et l’on ne pourrait non plus les lui imputer.

Th. Aussi l’âme qui serait dans le doigt n’appartiendrait-elle point à ce corps. J’avoue que, si Dieu faisait que les consciosités fussent transférées sur d’autres âmes, il faudrait les traiter, selon les notions morales, comme si c’étaient les mêmes ; mais ce serait troubler l’ordre des choses sans sujet et faire un divorce entre l’aperceptible et la vérité, qui se conserve par les perceptions insensibles, lequel ne serait point raisonnable, parce que les perceptions insensibles pour le présent peuvent se développer un jour, car il n’y a rien d’inutile, et l’éternité donne un grand champ aux changements.