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des idées

verser les choses que de prendre les qualités ou autres termes abstraits pour ce qu’il y a de plus aisé, et les concrets pour quelque chose de fort difficile.

§ 2. Ph. On n’a point d’autre notion de la pure substance en général que de je ne sais quel sujet qui lui est tout à fait inconnu et qu’on suppose être le soutien des qualités. Nous parlons comme des enfants à qui l’on n’a pas plutôt demandé ce que c’est qu’une telle chose qui leur est inconnue, qu’ils font cette réponse fort satisfaisante à leur gré : que c’est quelque chose, mais qui, employée de cette manière, signifie qu’ils ne savent ce que c’est.

Th. En distinguant deux choses dans la substance, les attributs ou prédicats et le sujet commun de ces prédicats, ce n’est pas merveille qu’on ne peut rien concevoir de particulier dans ce sujet. Il le faut bien, puisqu’on a déjà séparé tous les attributs où l’on pourrait concevoir quelque détail. Ainsi, demander quelque chose de plus dans ce pur sujet en général, que ce qu’il faut pour concevoir que c’est la même chose (p. e. qui entend et qui veut, qui imagine et qui raisonne), c’est demander l’impossible et contrevenir à sa propre supposition, qu’on a faite en faisant abstraction, et concevant se parement le sujet et ses qualités ou accidents. On pourrait appliquer la même prétendue difficulté à la notion de l’être et à tout ce qu’il y a de plus clair et de plus primitif ; car on pourra demander aux philosophes ce qu’ils conçoivent en concevant le pur être en général ; car tout détail étant exclu par là, on aura aussi peu à dire que lorsqu’on demande ce que c’est que la pure substance en général. Ainsi, je crois que les philosophes ne méritent pas d’être raillés, comme on fait ici, en les comparant avec un philosophe indien, qu’on interrogea sur ce qui soutenait la terre, à quoi il répondit que c’était un grand éléphant ; et puis, quand on demanda ce qui soutenait l’éléphant, il dit que c’était une grande tortue, et enfin, quand on le pressa de dire sur quoi la tortue s’appuyait, il fut réduit à dire que c’était quelque chose, un je ne sais quoi. Cependant cette considération de la substance, toute mince qu’elle paraît, n’est pas si vide et si stérile qu’on pense. Il en naît plusieurs conséquences des plus importantes de la philosophie, et qui sont capables de lui donner une nouvelle face.

§ 4. Ph. Nous n’avons aucune idée claire de la substance en général, et (§ 5) nous avons une idée aussi claire de l’esprit que du corps ; car l’idée d’une substance corporelle, dans la matière, est