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nouveaux essais sur l’entendement

§ 9. Ph. Nous acquérons les idées des modes mixtes par l’observation, comme lorsqu’on voit lutter deux hommes ; nous les arquerons aussi par invention (ou assemblage volontaire d’idées simples) : ainsi celui qui inventa l’imprimerie en avait l’idée avant que cet art existât. Nous les acquérons enfin par l’explication des termes affectés aux actions qu’on n’a jamais vues.

Th. On peut encore les acquérir en songeant ou rêvant sans que la combinaison soit volontaire, par exemple quand on voit en songe des palais d’or, sans y avoir pensé auparavant.

§ 10. Ph. Les idées simples qui ont été le plus modifiées sont celles de la pensée, du mouvement et de la puissance, d’où l’on conçoit que les actions découlent ; car la grande affaire du genre humain consiste dans l’action. Toutes les actions sont pensées ou mouvements. La puissance ou l’aptitude qui se trouve dans un homme de faire une chose constitue l’idée que nous nommons habitude, lorsqu’on a acquis cette puissance en faisant souvent la même chose ; et, quand on peut la réduire en acte à chaque occasion qui se présente, nous l’appelons disposition. Ainsi la tendresse est une disposition à l’amitié ou à l’amour.

Th. Par tendresse vous entendez, je crois, ici le cœur tendre ; mais ailleurs il me semble qu’on considère la tendresse comme une qualité qu’on a en aimant, qui rend l’amant fort sensible aux biens et maux de l’objet aime ; c’est à quoi me paraît aller la carte du Tendre dans l’excellent roman de la Clélie. Et, comme les personnes charitables aiment leur prochain avec quelque degré de tendresse, elles sont sensibles aux biens et aux maux d’autrui ; et généralement ceux qui ont le cœur tendre ont quelque disposition à aimer avec tendresse.

Ph. La hardiesse est la puissance de faire ou de dire devant les autres ce qu’on veut sans se décontenancer ; confiance qui, par rapport à cette dernière partie qui regarde le discours, avait un nom particulier parmi les Grecs.

Th. On ferait bien d’affecter un mot à cette notion, qu’on attribue ici à celui de hardiesse, mais qu’on emploie souvent tout autrement, comme lorsqu’on disait Charles le Hardi. N’être point décontenancé, c’est une force d’esprit, mais dont les méchants abusent quand ils sont venus jusqu’à l’impudence ; comme la honte est une faiblesse, mais qui est excusable et même louable dans certaines circonstances. Quant à la parrhésie, que vous entendez peut-être par le mot grec,