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des idées

de vouloir lequel il lui plait, du mouvement ou du repos, de parler ou de se taire, c’est demander si un homme peut vouloir ce qu’il veut, ou se plaire à ce à quoi il se plaît, question qui, à mon avis, n’a point besoin de réponse.

Th. Il est vrai, avec tout cela, que les hommes se font une difficulté ici qui mérite d’être résolue. Ils disent qu’après avoir tout connu et tout considéré, il est encore dans leur pouvoir de vouloir, non pas seulement ce qui plaît le plus, mais encore tout le contraire, seulement pour montrer leur liberté. Mais il faut considérer qu’encore ce caprice ou entêtement ou du moins cette raison, qui les empêche de suivre les autres raisons, entre dans la balance, et leur fait plaire ce qui ne leur plairait point sans cela, de sorte que le choix est toujours déterminé par la perception. On ne veut donc pas ce qu’on voudrait, mais ce qui plait, quoique la volonté puisse contribuer indirectement et comme de loin à faire que quelque chose plaise ou non, comme j’ai déjà remarqué. Et les hommes ne démêlant guère toutes ces considérations distinctes, il n’est point étonnant qu’on s’embrouille tant l’esprit sur cette matière, qui a beaucoup de replis cachés.

§ 29. Ph. Lorsqu’on demande qui est-ce qui détermine la volonté, la véritable réponse consiste à dire que c’est l’esprit qui détermine la volonté. Si cette réponse ne satisfait pas, il est visible que le sens de cette question se réduit à ceci : qui est-ce qui pousse l’esprit dans chaque occasion particulière à déterminer à tel mouvement ou à tel repos particulier la puissance générale qu’il a de diriger ses facultés vers le mouvement et vers le repos ? À quoi je réponds que ce qui nous porte in demeurer dans le même état ou à continuer la même action, c’est uniquement la satisfaction présente qu’on y trouve. Au contraire, le motif qui incite à changer est toujours quelque inquiétude.

Th. Cette inquiétude, comme je l’ai montré dans le chapitre précédent, n’est pas toujours un déplaisir, comme l’aise où l’on se trouve n’est pas toujours une satisfaction ou un plaisir. C’est souvent une perception insensible, qu’on ne saurait distinguer ni démêler, qui nous fait pencher plutôt d’un côte que de l’autre, sans qu’on en puisse rendre raison.

§ 30. Ph. La volonté et le désir ne doivent pas être confondus ; un homme désire d’être délivré de la goutte, mais comprenant que l’éloignement de cette douleur peut causer le transport d’une dangereuse