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introduction

contraire, elle suppose la substance : « Outre l’étendue, il faut avoir un sujet qui soit étendu, c’est-à-dire une substance à laquelle il appartienne d’être continuée. Car l’étendue ne signifie qu’une répétition ou multiplication continuée de ce qui est répandu, une pluralité, continuité ou coexistence des parties, et par conséquent elle ne suffit pas à expliquer la nature même de la substance répandue ou répétée dont la notion est antérieure et celle de sa répétition[1]. »

4° Une autre raison donnée par Leibniz, c’est que la notion de substance implique nécessairement l’idée d’unité. Si l’on suppose deux pierres séparées l’une de l’autre par un grand intervalle, personne ne supposera qu’elles forment une même substance ; si on les suppose jointes et soudées entre elles, cette juxtaposition changera-t-elle la nature des choses ? Non, sans doute ; il y aura toujours là deux pierres et non pas une seule. Si enfin on les suppose attachées l’une à l’autre par une force insurmontable, l’impossibilité de les séparer n’empêchera pas que l’esprit ne les distingue l’une de l’autre, et qu’elles ne restent deux, et non pas une. En un mot, tout compose n’est pas plus une seule substance qu’un tas de sable ou un sac de blé. Autant dire que les employés de la Compagnie des Indes forment une seule substance[2]. On reconnaîtra donc qu’un composé n’est jamais une substance, et que pour découvrir la substance vraie il faut parvenir jusqu’à l’unité, jusqu’à l’indivisible. Affirmer qu’il

  1. Extrait d’une lettre (Erdmann, XXVIII, p. 115). — Examen des principes du P. Malebranche (Erdmann, p. 692).
  2. « Si les parties qui conspirent à un même dessein sont plus propres à composer une substance que celles qui se touchent, tous les officiers de la Compagnie des Indes feront une substance réelle bien mieux qu’un tas de pierres ; mais le dessein commun, qu’est-il autre chose qu’une ressemblance, ou bien un ordre d’actions et de passions que notre esprit remarque dans des choses différentes ? Que si l’on veut préférer l’unité d’attouchement, on trouvera d’autres difficultés. Les corps fermes n’ont peut-être leurs parties unies que par la pression des corps environnants, et d’eux-mêmes et en leur substance, ils n’ont pas plus d’union qu’un monceau de sable. arena sine calce. Plusieurs anneaux entrelacés pour faire une chaîne, pourquoi composeront-ils plutôt une substance véritable que s’ils avaient des ouvertures pour se pouvoir quitter l’un et l’autre… Fictions de l’esprit partout… (Lettres à Arnauld ; — voir notre édition).