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des idées

Th. Je trouve tout cela fort bon et juste. Cependant, pour parler plus rondement et pour aller peut-être un peu plus avant, je dirai que la volition est l’effort ou la tendance (conatus) d’aller vers ce qu’on trouve bon et contre ce qu’on trouve mauvais, en sorte que cette tendance résulte immédiatement de l’aperception qu’on en a ; et le corollaire de cette définition est cet axiome célèbre : que du vouloir et du pouvoir, joints ensemble, suit l’action, puisque de toute tendance suit l’action lorsqu’elle n’est point empêchée. Ainsi non seulement les actions intérieures volontaires de notre esprit suivent de ce conatus, mais encore les extérieures, c’est-à-dire les mouvements volontaires de notre corps, en vertu de l’opinion de l’âme et du corps, dont j’ai donné ailleurs la raison. Il y a encore des efforts qui résultent des perceptions insensibles dont on ne s’aperçoit pas, que j’aime mieux appeler appétitions que volitions (quoiqu’il y ait aussi des appétitions aperceptibles), car on n’appelle actions volontaires que celles dont on peut s’apercevoir et sur lesquelles notre réflexion peut tomber lorsqu’elles suivent la considération du bien ou du mal.

Ph. La puissance d’apercevoir est ce que nous appelons entendement : il y a la perception des idées, la perception de la signification des signes, et enfin la perception de la convenance ou de la disconvenance, qu’il y a entre quelques-unes de nos idées.

Th. Nous nous apercevons de bien des choses en nous et hors de nous, que nous n’entendons pas, et nous les entendons, quand nous en avons des idées distinctes, avec le pouvoir de réfléchir et d’en tirer des vérités nécessaires. C’est pourquoi les bêtes n’ont point d’entendement, au moins dans ce sens, quoiqu’elles aient la faculté de s’apercevoir des impressions plus remarquables et plus distinguées, comme le sanglier s’aperçoit d’une personne qui lui crie, et va droit à cette personne, dont il n’avait eu déjà auparavant qu’une perception nue mais confuse comme de tous les autres objets, qui tombaient sous ses yeux et dont les rayons frappaient son cristallin. Ainsi, dans mon sens, l’entendement répond à ce qui, chez les Latins, est appelé intellectus, et l’exercice de cette faculté s’appelle intellection, qui est une perception distincte jointe à la faculté de réfléchir, qui n’est pas dans les bêtes. Toute perception jointe à cette faculté est une pensée que je n’accorde pas aux bêtes non plus que l’entendement, de sorte que l’on peut dire que l’interjection a lieu lorsque la pensée est distincte. Au reste, l’aperception de la signifi-