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des idées

ne fait point d’injure. Il y a dans la colère un effort violent qui tend à se défaire du mal. Le désir de la vengeance peut demeurer quand on est de sang-froid, et quand on a plutôt de la haine que de la colère.

§ 13. Ph. L’envie est l’inquiétude (le déplaisir) de l’âme, qui vient de la considération d’un bien que nous désirons, mais qu’un autre possède, qui à notre avis n’aurait pas dû l’avoir préférablement à nous.

Th. Suivant cette notion, l’envie serait toujours une passion louable et toujours fondée sur la justice, au moins suivant notre opinion. Mais je ne sais si on ne porte pas souvent envie au mérite reconnu, qu’on ne se soucierait pas de maltraiter, si l’on en était le maître. On porte même envie aux gens d’un bien qu’on ne se soucierait point d’avoir. On serait content de les en voir priver sans penser à profiter de leurs dépouilles et même sans pouvoir l’espérer. Car quelques biens sont comme des tableaux peints in fresco qu’on peut détruire, mais qu’on ne peut point ôter.

§ 17. Ph. La plupart des passions font en plusieurs personnes des impressions sur le corps, et y causent divers changements ; mais ces changements ne sont pas toujours sensibles. Par exemple, la honte, qui est une inquiétude de l’âme, qu’on ressent quand on vient à considérer qu’on a fait quelque chose d’indécent ou qui peut diminuer l’estime que d’autres font de nous, n’est pas toujours accompagnée de rougeur.

Th. Si les hommes s’étudiaient davantage à observer les mouvements extérieurs qui accompagnent les passions, il serait difficile de les dissimuler. Quant à la honte, il est digne de considération, que des personnes modestes quelquefois ressentent des mouvements semblables à ceux de la honte, lorsqu’elles sont témoins seulement d’une action indécente.

Chap. XXI. — De la puissance et de la liberté.

§ 1. Ph. L’esprit observant comment une chose cesse d’être et comment une autre, qui n’était pas auparavant, vient à exister, et concluant qu’il y en aura à l’avenir des pareilles, produites par de pareils agents, il vient à considérer dans une chose la possibilité qu’il y a qu’une de ses idées simples soit changée, et dans une autre