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des idées

néral. Mais en cela il y a de la difficulté. Si Dieu, les esprits finis, et les corps participent en commun à une même nature de substance, ne s’ensuivra-t-il pas qu’ils ne diffèrent que par la différente modification de cette substance ?

Th. Si cette conséquence avait lieu, il s’ensuivrait aussi que Dieu, les esprits finis et les corps, participants en commun à une même nature d’être, ne différeraient[1] que par la différente modification de cet être.

§ 19. Ph. Ceux qui les premiers se sont avisés de regarder les accidents comme une espèce d’êtres réels, qui ont besoin de quelque chose, à quoi ils soient attachés, ont été contraints d’inventer le mot de substance pour servir de soutien aux accidents.

Th. Croyez-vous donc, Monsieur, que les accidents peuvent subsister hors de la substance ? ou voulez-vous qu’ils ne soient point des êtres réels ? Il semble que vous faites des difficultés sans sujet, et j’ai remarqué ci-dessus que les substances ou les concrets sont conçus plutôt que les accidents ou les abstraits.

Ph. Les mots de substance et d’accidents sont, à mon avis, de peu d’usage en philosophie.

Th. J’avoue que je suis d’un autre sentiment, et je crois que la considération de la substance est un point des plus importants et des plus féconds de la philosophie.

§ 21. Ph. Nous n’avons maintenant parlé de la substance que par occasion, en demandant si l’espace est une substance. Mais il nous suffit ici qu’il n’est pas un corps. Aussi personne n’osera faire le corps infini comme l’espace.

Th. M. Descartes et ses sectateurs ont dit pourtant que la matière n’a point de bornes, en faisant le monde indéfini[2], en sorte qu’il ne nous soit point possible d’y concevoir des extrémités. Et ils ont changé le terme d’infini en indéfini avec quelque raison ; car il n’y a jamais un tout infini dans le monde, quoiqu’il y ait toujours des touts plus grands les uns que les autres à l’infini. L’univers même ne saurait passer pour un tout, comme j’ai montré ailleurs.

Ph. Ceux qui prennent la matière et l’étendue pour une même

  1. Gehrardt : ne différaient.
  2. Voy. Descartes, Principes de la philosophie, IIe partie, p.21 : « Nous saurons que ce monde, ou la matière étendue qui compose l’univers n’a point de bornes parce que quelque part que nous en voulions feindre, nous pouvons encore imaginer au delà des espaces infiniment étendus, de sorte qu’ils contiennent un corps indéfiniment étendu. »