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nouveaux essais sur l’entendement

à des mouvements avec lesquels elles n’ont aucune ressemblance, qu’il n’est difficile de concevoir qu’il a attaché l’idée de la douleur au mouvement d’un morceau de fer qui divise notre chair, auquel mouvement la douleur ne ressemble en aucune manière.

Th. Il ne faut point s’imaginer que ces idées de la couleur ou de la douleur soient arbitraires et sans rapport ou connexion naturelle avec leurs causes : ce n’est pas l’usage de Dieu d’agir avec si peu d’ordre et de raison. Je dirais plutôt qu’il y a une manière de ressemblance, non pas entière et pour ainsi dire in terminis, mais expressive, ou de rapport d’ordre, comme une ellipse et même une parabole ou hyperbole ressemblent en quelque façon au cercle, dont elles sont la projection sur le plan, puisqu’il y a un certain rapport exact et naturel entre ce qui est projeté et la projection, qui s’en fait, chaque point de l’un répondant suivant une certaine relation à chaque point de l’autre. C’est ce que les cartésiens ne considèrent pas assez, et pour cette fois vous leur avez plus déféré que vous n’avez coutume et vous n’aviez sujet de faire.

§ 15. Ph. Je vous dis ce qui me paraît, et les apparences sont que les idées des premières qualités des corps ressemblent à ces qualités, mais que les idées produites en nous par les secondes qualités ne leur ressemblent en aucune manière.

Th. Je viens de marquer comment il y a de la ressemblance ou du rapport exact à l’égard des secondes aussi bien qu’à l’égard des premières qualités. Il est bien raisonnable que l’effet réponde à sa cause ; et comment assurer le contraire ? puisqu’on ne connaît point distinctement ni la sensation du bleu par exemple, ni les mouvements qui la produisent. Il est vrai que la douleur ne ressemble pas aux mouvements d’une épingle, mais elle peut ressembler fort bien aux mouvements que cette épingle cause dans notre corps, et représenter ces mouvements dans l’âme, comme je ne doute nullement qu’elle ne fasse. C’est aussi pour cela que nous disons que la douleur est dans notre corps et non pas qu’elle est dans l’épingle. Mais nous disons que la lumière est dans le feu, parce qu’il y a dans le feu des mouvements, qui ne sont point distinctement sensibles à part, mais dont la confusion ou conjonction devient sensible et nous est représentée par l’idée de la lumière.

§ 21. Ph. Mais, si le rapport entre l’objet et le sentiment était naturel, comment se pourrait-il faire, comme nous remarquons en effet que la même eau peut paraître chaude à une main et froide à