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œuvres de leibniz

plus général ce phénomène pouvait se rattacher, on imaginait une vertu, une qualité occulte, l’horreur du vide, qui non seulement cachait l’ignorance par un mot vide de sens, mais rendait la science impossible, parce qu’on prenait une métaphore pour une explication.

Les abus de la théorie des formes substantielles, qualités occultes, vertus sympathiques, etc., avaient été tels que ce fut une véritable délivrance, lorsque Gassendi, d’une part, et, de l’autre Descartes, vinrent fonder une nouvelle physique sur ce principe, qu’il n’y a rien dans les corps qui ne soit contenu dans la notion même de corps, c’est-à-dire de chose étendue. Suivant ces nouveaux philosophes, tous les phénomènes des corps ne sont que des modifications de l’étendue, et doivent s’expliquer par les propriétés inhérentes à l’étendue, la figure, la situation et le mouvement. Dans ces principes, rien ne se passe dans les corps, dont l’entendement ne puisse se faire une idée claire et distincte. La physique moderne parait avoir confirmé en partie cette théorie, lorsqu’elle explique le son et la lumière par des mouvements (vibrations, ondulations, oscillations, etc.), soit de l’air, soit de l’éther.

On a souvent dit que la science moderne marche en sens inverse de la philosophie de Descartes, en ce que celle-ci conçoit la matière comme une substance morte et inerte, tandis que celle-là se la représente comme animée par des forces, des activités, des énergies de toute nature. C’est, à ce qu’il me semble, confondre deux points de vue tout différents : le point de vue physique et le point de vue métaphysique. Au point de vue physique, au contraire, il semble que la science soit plutôt fidèle à la pensée cartésienne : réduire le nombre des qualités occultes et expliquer, autant qu’il est possible, tous les phénomènes par le mouvement. Ainsi, tous les problèmes tendent à devenir des problèmes de mécanique. Changement de situation, changement de figure, changement de mouvement, tels sont les principes auxquels nos physiciens et nos chimistes ont recours toutes les fois qu’ils le peuvent.