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des idées

tuellement dans la nature. Je préférerais cependant le mot de fermeté (s’il m’était permis de m’en servir dans ce sens) à celui de dureté, car il y a quelque fermeté encore dans les corps mous. Je cherche même un mot plus commode et plus général comme consistance ou cohésion. Ainsi j’opposerais le dur au mou, et le ferme au fluide, car la cire est molle, mais sans être fondue par la chaleur elle n’est point fluide et garde ses bornes ; et dans les fluides même il y a de la cohésion ordinairement, comme les gouttes d’eau et de mercure le font voir. Je suis aussi d’opinion que tous les corps ont un degré de cohésion, comme je crois de même qu’il n’y en a point qui n’aient quelque fluidité, et dont la cohésion ne soit surmontable : de sorte qu’à mon avis les atomes d’Épicure, dont la dureté est supposée invincible, ne sauraient avoir lieu non plus que la matière subtile parfaitement fluide des Cartésiens. Mais ce n’est pas ici le lieu ni de justifier ce sentiment ni d’expliquer la raison de la cohésion.

Ph. La solidité parfaite des corps semble se justifier par l’expérience. Par exemple l’eau, ne pouvant point céder, passa à travers des pores d’un globe d’or concave, où elle était enfermée, lorsqu’on mit ce globe sous la presse à Florence.

Th. Il y a quelque chose à dire à la conséquence que vous tirez de cette expérience et de ce qui est arrivé à l’eau. L’air est un corps aussi bien que l’eau, qui est cependant comprimable au moins ad sensum, et ceux qui soutiendront une raréfaction et condensation exacte, diront que l’eau est déjà trop comprimée pour céder à nos machines, comme un air très comprimé résisterait aussi à une compression ultérieure. J’avoue cependant de l’autre côté, que quand on remarquerait quelque petit changement de volume dans l’eau, on pourrait l’attribuer à l’air, qui y est enfermé. Sans entrer maintenant dans la discussion, si l’eau pure n’est point comprimable elle-même, comme il se trouve qu’elle est dilatable, quand elle évapore, cependant je suis dans le fond du sentiment de ceux qui croient que les corps sont parfaitement impénétrables, et qu’il n’y a point de condensation ou raréfaction qu’en apparence. Mais ces sortes d’expériences sont aussi peu capables de le prouver que le tuyau de Torricelli[1] ou la machine de Guéricke[2] sont suffisantes pour prouver un vide parfait.

Ph. Si le corps était raréfiable et comprimable à la rigueur, il

  1. Toricelli (Evangelista), célèbre physicien italien, inventeur du baromètre (1608-1647), Opera geometrica (Florence, 1644).
  2. Otto de Guéricke (1602-1686), célèbre physicien allemand, a fait des expériences sur le vide : Experimenta nova de vacuo spatio (Amsterdam, 1672).