Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/111

Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
des idées

une nouvelle pensée. Par exemple, en n’apercevant de quelque sentiment présent, je devrais toujours penser que j’y pense, et penser encore que je pense d’y penser, et ainsi à l’infini. Mais il faut bien que je cesse de réfléchir sur toutes ces réflexions et qu’il y ait enfin quelque pensée qu’on laisse passer sans y penser ; autrement, on demeurerait toujours sur la même chose.

Ph. Mais ne serait-on pas tout aussi bien fondé à soutenir que l’homme a toujours faim, en disant qu’il en peut avoir sans s’en apercevoir.

Th. Il y a bien de la différence : la faim a des raisons particulières qui ne subsistent pas toujours. Cependant, il est vrai aussi qu’encore quand on a faim, on n’y pense pas à tout moment ; mais, quand on y pense, on s’en aperçoit, car c’est une disposition bien notable. Il y a toujours des irritations dans l’estomac, mais il faut qu’elles deviennent assez fortes pour causer la faim. La même distinction se doit toujours faire entre les pensées en général et les pensées notables. Ainsi ce qu’on apporte pour tourner notre sentiment en ridicule, sert à le confirmer.

§ 23. Ph. On peut demander maintenant quand l’homme commence à avoir des idées dans sa pensée, et il me semble qu’on doit répondre que c’est dès qu’il a quelque sensation.

Th. Je suis du même sentiment, mais c’est par un principe un peu particulier, car je crois que nous ne sommes jamais sans pensées et aussi jamais sans sensation. Je distingue seulement entre les idées et les pensées ; car nous avons toujours les idées pures ou distinctes, indépendamment des sens ; mais les pensées répondent toujours à quelque sensation.

§ 25. Ph. Mais l’esprit est passif seulement dans la perception des idées simples, qui sont les rudiments ou matériaux de la connaissance, au lieu qu’il est actif, quand il forme des idées composées.

Th. Comment cela se peut-il, qu’il soit passif seulement à l’égard de la perception de toutes les idées simples, puisque selon votre propre aveu il y a des idées simples, dont la perception vient de la réflexion, et que l’esprit se donne lui-même les pensées de réflexion, car c’est lui qui réfléchit ? S’il se peut les refuser, c’est une autre question, et il ne le peut point sans doute sans quelque raison qui l’en détourne, quand quelque occasion l’y porte.

Th. Il semble que jusqu’ici nous avons disputé ex-professo. Maintenant que nous allons venir au détail des idées, j’espère que nous