Page:Œuvres morales de Plutarque, traduites du grec par Amyot, tome 3, 1802.djvu/21

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propre à elle, ne ce qui est à autruy. Ceste communauté de biens mesmement doit estre principalement entre ceux qui sont conjoincts par mariage, qui

doivent avoir mis en commun et incorporé tout leur avoir en une substance : de sorte qu'ils n'en reputent point une partie estre propre à eux, et une autre à autruy, ains le tout propre à eux et rien à autruy. Comme en une couppe où il y aura plus d'eau que de vin, nous l'appellons vin neantmoins : aussi le bien doit tousjours, et la maison estre nommee du nom du mary, encore que la femme en ait apporté la plus grande partie. Helene estoit avaricieuse, et Paris luxurieux : au contraire, Ulysses estoit prudent, et Penelopé chaste : pourtant le mariage de ceux-cy fut heureux, et celuy de ceux-là remplit les Grecs et les Barbares d'une Iliade, c'est à dire, d'une infinité de maulx et de calamitez. Un gentilhomme Romain aiant espousé une belle, riche, et honneste jeune Dame, la repudia : dequoy tous ses amis le reprirent, et tanserent bien asprement : et luy tendant le pied leur monstra son soulier, leur demandant, «Que luy faut-il ? n'est-il pas beau ? n'est-il pas tout neuf ? et toutefois il n'y a celuy de vous qui sçache l'endroit où il me presse, et me bleçe.» Voyla pourquoy il ne faut point qu'une femme se confie ny en ses biens, ny en la noblesse de sa race, ny en sa beauté, mais en ce qui touche de plus pres