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forces, et les Carthaginois diminuèrent de vigueur, en augmentant de puissance.

Que si l’on veut chercher les causes de tous leurs malheurs, on en trouvera deux essentielles : la nonchalance de Carthage, qui laissoit anéantir les bons succès, faute de secours ; et l’envie précipitée qu’eut Annibal de mettre fin aux travaux, avant que d’avoir fini la guerre.

Après avoir goûté le repos, il ne fut pas longtemps sans vouloir goûter les délices ; et il en fut charmé d’autant plus aisément, qu’elles lui avoient toujours été inconnues. Un homme qui sait mêler les plaisirs et les affaires, n’en est jamais possédé : il les quitte, il les reprend, quand bon lui semble ; et, dans l’habitude qu’il en a formée, il trouve plutôt un délassement d’esprit qu’un charme dangereux qui puisse corrompre. Il n’en est pas ainsi de ces gens austères qui, par un changement d’esprit, viennent à goûter les voluptés. Ils sont enchantés aussitôt de leurs douceurs, et n’ont plus que de l’aversion pour l’austérité de leur vie passée. La nature, en eux, lassée d’incommodités et de peines, s’abandonne aux premiers plaisirs qu’elle rencontre. Alors, ce qui avoit paru vertueux se présente avec un air rude et difficile ; et l’âme, qui croit s’être détrompée d’une vieille erreur, se complaît en elle-même de son nouveau goût pour les choses agréables.