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Ce fut, au reste, avec le concours empressé des contemporains que cette influence de la conversation sur l’esprit se produisit et se propagea. Le dix-septième siècle apprécia le bienfait dès qu’il put en jouir. Nous voyons, dans les mémoires du temps et dans les correspondances, combien étoient fréquentés les cercles et les salons qu’ouvroient d’opulents personnages, ou même de pauvres femmes de lettres, comme Mlle de Scudéry ; et quelle supériorité y prenoient, sans contradiction, l’intelligence et l’esprit, sur les avantages de convention dans la société, tels que la fortune et la naissance. On demeure étonné des privautés que s’arrogeoient les gens de lettres chez Mme de Rambouillet et à la place Royale, ou chez le cardinal de Richelieu, et même au Louvre. Nul homme de lettres n’auroit osé, peut-être, au dix-huitième siècle prendre les libertés que s’y donnoit Voiture, à la vérité le plus impertinent des hommes. La disgrâce de Voltaire, à la cour de Berlin, commença au madrigal que tout le monde connoît, adressé à la sœur du grand Frédéric, et bien autrement délicat9 que des vers dont Anne d’Autriche permit la lecture, en tête-à-tête, au bel esprit à la mode, à Voiture10. L’influence des hommes de lettres sur la société


9.                     Souvent un peu de vérité
                         Se mêle au plus grossier mensonge.
                         Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,
                         Au rang des rois j’étois monté.
                 Je vous aimois, princesse, et j’osois vous le dire.
                 Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté :
                         Je n’ai perdu que mon empire.

10. Voy. dans les Œuvres de Voiture, édit. Ubicini, tom. II, p. 306 et suiv.