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raire. Habile interprète de l’opinion publique, il a proclamé l’usage, le régulateur des langues, et il a, ainsi, rendu au public la part qui lui revenoit dans la réforme. Il n’a rien inventé ; mais il a écarté, sacrifié des expressions impropres et trompeuses ; et il n’a pas craint d’appauvrir, en apparence, le répertoire du langage, en limitant son choix à ce qui étoit autorisé par une expérience éclairée, par un discernement délicat, et par la vérité qui est la première des lois en toute chose. Grâce à Vaugelas, l’Académie est devenue une magistrature ; elle a même motivé ses arrêts. Le réformateur a rendu compte de ses actes, et le François qui aime assez l’autorité, quand elle sait avoir raison, a fini par être de l’avis de l’Académie. La noble ambition d’avoir à son tour une grande littérature nationale, animoit alors la France entière.

Ce qui frappe, il est vrai, dans notre langue réformée, c’est la difficulté de l’écrire, même simplement. Aussi, combien de gens de goût, qui n’étant pas obligés d’écrire, renoncent à le faire ! Mais cette difficulté même est un élément de perfection littéraire, par la discipline et l’effort qu’elle impose à l’esprit. La difficulté n’existoit point pour Amyot, ni pour Montaigne, qui écrivoient comme ils vouloient, secundum ingenium ; elle est l’ouvrage des réformateurs de la langue, de Vaugelas surtout, qui a obligé tout écrivain à suivre une règle. C’est contre cette difficulté, que s’insurgèrent et Molière et Saint-Évremond. Saint-Évremond, plus que Molière encore, s’est trompé ; mais la thèse de l’indépendance étoit, de son temps, fort soutenable, à quarante ans de distance de Charron, et à cinquante