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fais une sagesse, également, de rejeter ce qui me déplaît et de recevoir ce qui me contente. Chaque jour je me défais de quelque chaîne, avec autant d’intérêt pour ceux dont je me détache, que pour moi qui reprends ma liberté. Ils ne gagnent pas moins, dans la perte d’un homme inutile, que je perdrois à me dévouer plus longtemps à eux, inutilement.

De tous les liens, celui de l’amitié est le seul qui me soit doux ; et, n’étoit la honte qu’on ne répondît pas à la mienne, j’aimerois, par le plaisir d’aimer, quand on ne m’aimeroit pas. Dans un faux sujet d’aimer, les sentiments d’amitié peuvent s’entretenir, par la seule douceur de leur agrément. Dans un vrai sujet de haïr, on doit se défaire de ceux de la haine, par le seul intérêt de son repos. Une âme seroit heureuse qui pourroit se refuser tout entière à certaines passions, et ne feroit seulement que se permettre à quelques autres. Elle seroit sans crainte, sans tristesse, sans haine, sans jalousie ; elle désireroit sans ardeur, espéreroit sans inquiétude, et jouiroit sans transport.

L’état de la vertu n’est pas un état sans peine. On y souffre une contestation éternelle de l’inclination et du devoir. Tantôt on reçoit ce qui choque, tantôt on s’oppose à ce qui plaît : sentant, presque toujours, de la gêne à faire ce