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Que les philosophes, que les savants s’étudient ; ils trouveront non-seulement de l’altération, mais de la contrariété même, dans leurs sentiments. À moins que la foi n’assujettisse notre raison, nous passons la vie à croire, et à ne croire point : à nous vouloir persuader, et à ne pouvoir nous convaincre.

Je sais bien qu’on peut apporter des exemples, qui paroissent contraires à ce que je dis. Un discours de l’immortalité de l’âme a poussé des hommes à chercher la mort, pour jouir plus tôt des félicités dont on leur parloit2. Mais quand on en vient à ces termes, ce n’est plus la raison qui nous conduit, c’est la passion qui nous entraîne : ce n’est plus le discours qui agit en nous, c’est la vanité d’une belle mort, qu’on aime sottement plus que la vie ; c’est la lassitude des maux présents, c’est l’espérance des biens futurs, c’est un amour aveugle de la gloire ; une maladie, enfin, une fureur qui vio-


2. Le philosophe Cléombrote se précipita dans la mer, après la lecture du Phédon de Platon : ce qui a fourni à Callimaque le sujet de sa 24e Épigramme ; — et Cicéron nous apprend que le roi Ptolémée défendit à Hégésias le Cyrénaïque de traiter cette matière, dans ses leçons publiques, parce que ce philosophe y faisoit une peinture si vive des misères de la vie, qu’il avoit porté plusieurs personnes à se donner la mort ; d’où lui étoit venu le surnom de Pisithanate. Valère Maxime rapporte l’histoire d’Hégésias, liv. VIII, ch. ix, § 3.