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l’art, dans l’écriture, même dans l’intimité épistolaire : différent en cela de Chapelle, qui étant inégal et négligé par caractère, l’est sans aucune gêne, en ses écrits, tout comme Chaulieu. Saint-Évremond a beaucoup critiqué les Précieuses ; et, pour les avoir trop connues, il lui reste quelque chose de leurs habitudes. Il est facile de juger qu’il exerçoit son esprit, comme on exerce son corps, pour lui maintenir la souplesse et la santé. Jamais il ne s’emporte ; il fuit même l’élévation : elle lui semblerait de la passion. Mais le fin, le délicat, le recherché, voilà ce qui l’occupe, et c’est là qu’il excelle. Il le poursuit en toutes choses, parce qu’il applique son esprit à toutes choses ; l’histoire, la poésie légère, la philosophie morale, la musique, l’art épistolaire, la critique, la poétique. C’est le premier type du polygraphe, que nous ayons dans notre langue14, avant Voltaire. Avec lui est partie pour l’exil l’école épicurienne, et l’on s’en ressent, désormais, dans notre littérature ; mais la société épicurienne est restée, qui n’ayant plus de régulateur, a laissé perdre insensiblement la bienséance que recommandoit Saint-Évremond, et dont il donnoit l’exemple. Il n’est pas sorti de livre, proprement dit, de cette école épicurienne. Le livre est un effort, et l’épicurien s’en abstient ; mais ces riens charmants, ces productions légères, dont l’agrément et le trait font le mérite principal, et qui sont l’expression agréable et vraie de l’esprit du monde, on ne les trouve nulle autre


14. Pascal avoit dit : « Puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir un peu de tout… Cette universalité est la plus belle. »