Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sieurs années. Les Portraits couroient le monde, en manuscrit ; et les portefeuilles de Conrart en sont encore remplis. Dans la chaire même, des prédicateurs qui ne s’appeloient ni Bossuet, ni Bourdaloue, ni Massillon, cherchèrent, alors, dans ce caprice littéraire, mis à la mode par la vanité, la bonne fortune d’un succès d’éloquence peu chrétienne. Un déluge de Portraits inonda les salons et les ruelles. L’un de ceux qu’on trouve chez Conrart commence par ces mois : Puisque c’est la mode que chacun fasse son portrait, etc. Descartes demandoit à sa fille de lui envoyer le sien. Tallemant, incapable d’y appliquer son esprit trop décousu, laisse échapper, vers 1658, cette boutade ridicule : « La mode des Portraits commence à ennuyer furieusement les gens. »

La littérature des Portraits, qui a occupé tout le monde, à Paris, après l’exemple donné au Luxembourg, demeure ainsi, dans l’histoire des lettres et des mœurs françoises, une curiosité d’assez grande conséquence. Elle n’a point envoyé, sans doute, de chefs-d’œuvre au salon de Mademoiselle ; mais cependant la langue du monde et de la conversation, fine, piquante, originale, libre, y apparoît avec un charme digne de remarque.

Quoi qu’en ait dit Segrais, le collecteur par commission de ces bluettes de palais, Mademoiselle et ses amies avoient pris le goût des Portraits dans les romans en crédit de ce temps-là : sans le croire assurément, et c’est peut-être un trait de hauteur princière ; de si grandes dames ne devoient copier personne. Au fond, elles suivoient, ou continuoient, un mouvement donné, en se l’appropriant, et en l’appli-