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c’est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire après la mort. »

Elle lui répondoit, avec ses quatre-vingts ans sonnés : « Le bel esprit est bien dangereux en amitié. Votre lettre en auroit gâté une autre que moi. Je connois votre imagination vive et étonnante ; et j’ai même eu besoin de me souvenir que Lucien a écrit à la louange de la mouche, pour m’accoutumer à votre style. Plût à Dieu que vous pussiez penser de moi ce que vous en dites ! Je me passerois du suffrage des nations.... Vous retournez à la jeunesse : vous faites bien de l’aimer. La philosophie sied bien avec les agréments de l’esprit, car ce n’est pas assez d’être sage, il faut plaire ; et je vois bien que vous plairez toujours. » L’abbé de Chaulieu, qui la fréquentoit beaucoup, disoit d’elle, à cette époque : Que l’amour s’étoit retiré jusques dans les rides de son front.

Plus tard, et sur le bord même de la tombe, Saint-Évremond écrivoit à Ninon : « Vous êtes sérieuse et vous plaisez encore. Vous donnez de l’agrément à Sénèque, qui n’est pas accoutumé d’en avoir. Vous vous dites vieille, avec toutes les grâces de l’humeur et de l’esprit des jeunes gens. J’ai une curiosité que vous pouvez satisfaire : Quand il vous souvient de votre jeunesse, la mémoire du passé ne vous donne-t-elle point de certaines idées, aussi éloignées de la langueur de l’indolence que du trouble de la passion ? Ne sentez-vous point, dans votre cœur, une opposition secrète à la tranquillité que vous pensez avoir donnée à votre esprit ?

Mais aimer, et vous voir aimée,
Est une douce illusion,