commander une armée ; qu’on est bien à plaindre, quand on a besoin de la religion pour se conduire, car c’est une preuve qu’on a l’esprit bien borné, ou le cœur bien corrompu ; que la puissance de l’amour n’est que dans son bandeau, etc. Mais presque toujours son esprit s’applique à revêtir d’une tournure élégante une vérité d’observation, ou une règle du bon sens. Une de ses maximes étoit que la beauté sans grâce est un hameçon sans appât ; elle disoit qu’il n’y avoit rien de si varié dans la nature que les plaisirs de l’amour, quoi qu’ils fussent toujours les mêmes ; qu’il falloit faire provision de vivres, mais que pour les plaisirs on ne les devoit prendre qu’au jour la journée. Et le lendemain, chacun de ces mots couroit d’abord les ruelles de la place Royale, et puis se répandoit dans tout Paris.
Un seul homme illustre de ce siècle n’a jamais eu, ce semble, aucun commerce avec Ninon, qui n’eut aussi pas le moindre goût pour lui, et qui fut toujours opposée à ses menées. C’est le cardinal de Retz. Quelques motifs provenant de Marion de Lorme ont pu contribuer à cet éloignement. Peut-être aussi, Ninon a-t-elle su mauvais gré au cardinal d’avoir entraîné M. de Lenclos, son père, à des folies. Le coadjuteur n’a pas nommé Ninon dans ses mémoires. Il ne paroît pas non plus qu’elle ait eu des relations avec Racine. Elle professoit les sentiments du Marais, et de Saint-Évremond, pour Corneille ; elle a dû laisser Racine à l’écart.
Telle étoit cette merveilleuse compagnie que réunissoit autour d’elle une femme rare, qu’on a généralement représentée sous de si fausses couleurs. Sans doute à force d’érudition et de perspicacité, on