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entre Ninon et Mme de la Sablière ; Boileau qui soupoit souvent avec Molière et Ninon, chez Mme de la Sablière, ou à la rue des Tournelles ; Perrot d’Ablancourt, l’élégant écrivain, dont elle appeloit les traductions, des belles infidèles ; l’abbé Dubois, dont elle aimoit l’esprit, et qu’elle recommandoit à Saint-Évremond, après la paix de Riswyck ; le fameux abbé Têtu qui convoitoit sa conversion, pour se faire valoir, et dont elle disoit si plaisamment : « S’il ne fait fortune que par mon âme, il mourra sans bénéfice ; » enfin, le grand prieur de Vendôme, qui, dépité de ses rigueurs, lui adressa ces vers :

Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,
Je renonce sans peine à tes foibles appas ;
Mon amour te prêtoit des charmes,
Ingrate, que tu n’avois pas.

Méchants vers que Ninon retourna, sur-le-champ :

Insensible à tes feux, insensible à tes larmes,
Je te vois renoncer à mes foibles appas ;
Mais, si l’amour prête des charmes,
Pourquoi n’en empruntois-tu pas ?

— Et le grand prieur, en galant petit-fils d’Henri IV, eut le bon esprit d’en rire, en revenant souper, chez Ninon.

Ses petits soupers étoient inestimables. C’est alors que sa merveilleuse conversation, éblouissante et passionnée, s’animoit de l’ardeur la plus vive et la plus brillante : c’étoit comme un feu d’artifice. Elle ne buvoit que de l’eau, mais on disoit qu’elle étoit ivre dès la soupe. Si l’entraînement la conduisoit au paradoxe, elle y déployoit une incomparable originalité ; par exemple, lorsqu’elle soutenoit qu’il falloit cent fois plus d’esprit pour faire l’amour, que pour