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épicuriens et délicats comme elle; Chapelle qu’elle mit à la porte, malgré tout son talent, lorsqu’il s’adonna au vin, et qui s’en vengea par des épigrammes : il avoit juré d’en faire une par jour22. Sans se brouiller avec Bachaumont, qui étoit de meilleure compagnie, ni avec Molière qui aimoit Chapelle, mais encore plus Ninon de Lenclos, dont il estimoit tant les avis, elle ferma la bouche au mécontent par ses répliques et par sa résolution.

On trouvoit aussi réunis, dans ce salon, ou l’on venoit à cinq heures, pour en sortir à neuf : l’abbé Gédoyn, parent proche des Lenclos, homme très-savant ; l’abbé de Chateauneuf, fort lettré, homme de bonne société, dont on a raconté l’absurde aventure des quatre-vingts ans23 ; la Fontaine, qui se partageoit


22. Il n’en est resté que celle-ci, qui justifie son expulsion :

Il ne faut pas qu’on s’étonne,
Si souvent elle raisonne
De la sublime vertu
Dont Platon fut revêtu ;
Car, à bien compter son âge,
Elle doit avoir vécu
Avec ce grand personnage.

23. Voici un autre exemple des histoires absurdes répandues sur Ninon. Douxménil, l’un de ses plus judicieux biographes, pourtant, nous dit que : « le fameux Jean Banier, parent des rois de Suède, qui fut tué en duel à Londres, en 1686, par le prince Philippe de Savoie, fut le dernier de ses amants connus. Elle avoit soixante-huit ans lorsqu’il en devint amoureux. »

Or, le fameux Jean Banier est mort en 1641. C’est son neveu, jeune homme fort étourdi, qui a été tué en duel par Philippe de Savoie, en 1683, et Ninon n’a eu 68 ans qu’en 1688. Le jeune Banier a pu être présenté à Ninon ; mais il habitoit l’Angleterre, dès 1676 ou 1680, et l’on peut voir page 156 du tome I, et dans notre tome III, les causes de son duel.