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quiétée11. Pour le monde épicurien, Ninon n’a plus été qu’une personne affranchie de mille règles de convention, souvent chimériques ; de mille petites décences d’état et d’usage, nécessaires mais arbitraires ; elle n’a plus fait partie que du corps des honnêtes gens de son siècle, avec une des meilleures places. Et l’épicurienne, il faut l’avouer, s’est fait honorer de toutes les personnes qui l’ont approchée. Ce succès de l’esprit est une des plus rares merveilles de l’histoire du dix-septième siècle.

Mettant au service de ses doctrines l’originalité piquante de son intelligence si vive, et la grâce incomparable dont elle étoit douée ; non-seulement elle accommoda sa vie à son système, avec une liberté complète, mais encore elle ouvrit, en quelque sorte, une école de philosophie, dogmatique et pratique, où de son salon elle fit une académie, professant, tout à la fois, le scepticisme et l’art de la vie, avec un charme séducteur dont tous les contemporains ont témoigné. « Qu’elle est dangereuse cette Ninon, s’écrioit Mme de Sévigné ; si vous saviez comme elle dogmatise ! » En effet, dégagée de tout scrupule et affranchie de toute gêne importune, elle donna un libre cours à la satisfaction de ses goûts, avec un abandon qu’on pourrait appeler méthodique ; aimable en même temps que calculé. Mais ce qui fut aussi surprenant, c’est l’observation des convenances, à laquelle elle ne manqua jamais, et qu’elle sut imposer à tout son entourage, autant


11. Il ne faut jamais croire que la moitié de ce qu’on dit, répondoit-elle à quelqu’un, qui lui rapportoit les on dit répandus sur son compte.