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pinion reçue. Nous croyons le mot et la chose fort mal appliqués à cette femme étonnante, dont la plupart des contemporains eux-mêmes ont méconnu le caractère et calomnié la vie. Sous le nom de Ninon de Lenclos ont été amoncelées toutes les effronteries d’une époque assez abandonnée ; et ces contes fabuleux, recueillis sans examen, ont été transmis de génération en génération, par les libertins, pour s’en autoriser, et par les rigoristes, pour les réprouver, en une seule et même personne. Ninon de Lenclos fut appelée, par l’indulgent et judicieux Saint-Évremond : la moderne Leontium. C’étoit, en effet, une païenne, une Leontium françoise, avec son affection pour un moderne Épicure. C’étoit une Athénienne égarée à Paris, et plus d’une fois exposée aux impertinences d’un public aussi peu réfléchi que celui du Pirée ; c’était Aspasie avec son cortège de Périclès, de Phidias, d’Anaxagore, d’Alcibiade, et ce ton de bonne compagnie si admirable dans Platon, rédacteur immortel des conversations qu’il entendoit, chez la belle Milésienne. Le personnage et la société que représentent des femmes comme Ninon de Lenclos, tout cela est perdu pour notre temps. Je ne le regrette pas, mais l’un et l’autre avoient leur raison d’être et leur place naturelle, à une autre époque. Ils tiroient leur origine du seizième siècle, du grec et du latin, de la liberté de penser dont nous avons recherché l’influence sur l’esprit françois, au début du dix-septième siècle. De pareilles figures perdent leur caractère, lorsqu’elles sont vues de loin et du milieu d’une forme nouvelle de sociabilité qui les exclut. Le dix-septième siècle leur a donné un der-