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Saint-Évremond et de la Rochefoucauld ; M. Esprit a répété lui-même que « les amitiés ordinaires sont des trafics honnêtes ; » sur quoi j’ajouterai qu’il n’a été tenu pour plagiaire par personne. C’est qu’en effet, la maxime lui appartenoit, autant qu’aux autres habitués de Mme de Sablé, qui avoient été de ce parti. Ses Maximes avoient couru, en manuscrit, pendant longtemps, comme celles de Saint-Évremond, comme celles de Mme de Sablé, comme toute cette littérature légère des salons de ce siècle ; et M. Cousin remarque, avec raison, malgré la couleur du paradoxe, que s’il y a un maître et un disciple, entre M. Esprit et la Rochefoucauld, le disciple est celui-ci.

Lors donc qu’en 1676, Saint-Évremond parle à la duchesse Mazarin de l’amitié comme d’une vertu, c’est qu’il est sous l’impression d’un sentiment plus épuré qu’en 1647 ; le charme d’une affection délicate l’emporte, en 1676, sur la sécheresse du jeune philosophe de 1647 ; et il désavoue sa vieille opinion, au bruit de la controverse ravivée, dans les salons de Paris, à l’occasion de la publication récente des Maximes de la Rochefoucauld. Il ne s’est plus reconnu dans le fragment imprimé par Barbin, sans son aveu11. Les femmes s’étoient prononcées en général contre la théorie de la Rochefoucauld ; le galant Saint-Évremond s’est rangé du parti des dames, et se prononce pour la vertu dans


11. Pour confirmer tout ce que nous avons dit à ce sujet, nous citerons Barbin lui-même, dans l’épitre dédicatoire du volume de 1668, au marquis de Berny : « Ce Recueil, dit-il, est une manière d’enfant perdu, que personne n’avoue, et que le hasard a jeté entre mes mains. »