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connus, si obligés, que rien ne nous fut plus cher que l’un à l’autre ; et quand je me demande d’où vient cette joie, cette aise, ce repos que je sens, lorsque je le vois : c’est que c’est lui, c’est que c’est moi ; c’est tout ce que je puis dire. » Quant à Épicure : « J’ai toujours admiré sa morale, dit Saint-Évremond, et je n’estime rien tant de sa doctrine que la préférence qu’il donne à l’amitié sur toutes les vertus. » Tout un livre est dans ce dernier mot. Voilà le sentiment exquis de l’amitié élevé au rang de vertu. Sous les premières impressions du sensualisme, il n’avoit jadis entrevu que l’utilité d’un ami, qu’un échange de services à espérer dans l’amitié ; il avoit dit ce mot répété par la Rochefoucauld : l’amitié c’est un trafic, et ce mot, on s’en souvient, avoit blessé Mme de Sablé.

Il est difficile, quand on écrit sur un pareil sujet, que l’esprit échappe à l’influence du cœur. Les impressions du moment doivent être pour beaucoup dans les jugements de celui qui disserte sur l’amour ou l’amitié. On peut donc croire que les dispositions morales de Saint-Évremond ont été diverses, selon les temps auxquels se rapportent ses écrits sur l’amitié. En 1647, il avoit sous les yeux les premiers déchirements de la société parisienne, aux approches de la fronde ; l’intrigue et l’ambition trafiquoient de tous les engagements, et même des mouvements du cœur. Il a pu dire « l’amitié est un commerce ; le trafic en doit être honnête, mais enfin c’est un trafic. » L’intention étoit d’ailleurs moins choquante que le mot.

Sans revenir, à cet égard, sur ce que j’ai noté précédemment, je ferai remarquer qu’aux yeux des