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un exil de quarante années noblement supporté ; son style élégant, coloré, qui se ressent des origines de notre littérature, du goût italien et du goût espagnol ; la liberté de sa pensée, qui reflète l’allure indépendante de la première moitié du dix-septième siècle, et qu’on ne trouve plus que chez Molière, parmi les écrivains soumis à l’influence personnelle de Louis XIV ; son esprit ironique, délicat, ingénieux, précurseur de l’esprit de Voltaire ; sa manière piquante, que Fontenelle a souvent essayé d’imiter, sans l’avouer : tout doit protéger Saint-Évremond contre l’indifférence et l’oubli.

Du reste, il faut reconnoître que, parmi les causes qui ont fait perdre à Saint-Évremond la faveur dont il a joui, sa négligence même est pour beaucoup. Si la nature l’avoit doué du sentiment de l’art d’écrire, son indolence épicurienne l’a constamment éloigné de tout effort ; et la postérité en exige beaucoup pour arriver à elle : elle ne garde que les œuvres travaillées jusqu’à la perfection, même quand elles lui viennent du génie. Jeté de bonne heure dans la carrière des armes, il en subit l’inévitable conséquence. La composition n’étoit alors pour lui qu’un passe-temps. Même après sa disgrâce, elle n’obtint qu’une part de ses moments : l’autre et la meilleure étant donnée aux jouissances du monde. Saint-Évremond n’a jamais écrit que pour son délassement, ou pour plaire à ses amis. La liberté de sa plume est, il est vrai, un de ses charmes ; mais il en est resté inégal et négligé.

Un plus grand tort a été de n’accorder jamais à la publication de ses ouvrages l’importance qu’exige le soin de la publicité. Rarement les libraires te-