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respectueuse de ce qu’il avoit dû souffrir auprès du Prince. On en trouve l’expression sereine, mais sensible, dans le Parallèle de César et d’Alexandre, écrit en 1663, sur la terre d’exil. « Je ne puis m’empêcher, y dit Saint-Évremond, de faire quelques réflexions sur les héros, dont l’empire a cela de doux, qu’on n’a pas de peine à s’y assujettir. Il ne nous reste pour eux, ni de ces répugnances secrètes, ni de ces mouvements intérieurs de liberté, qui nous gênent dans une obéissance forcée. Tout ce qui est en nous, est souple et facile ; mais ce qui vient d’eux est quelquefois insupportable. Quand ils sont nos maîtres par la puissance, et si fort au-dessus de nous par le mérite, ils pensent avoir comme un double empire qui exige une double sujétion ; et souvent c’est une condition fâcheuse de dépendre de si grands hommes, qu’ils puissent nous mépriser légitimement. Cependant, puisqu’on ne règne pas dans les solitudes, et que ce leur est une nécessité de converser avec nous, il seroit de leur intérêt de s’accommoder à notre foiblesse. Nous les révérerions comme des dieux, s’ils se contentoient de vivre comme des hommes. »

Et comme il a jugé Condé avec une impartialité délicate, dans le Parallèle qu’il nous a laissé du Prince avec Turenne ! « M. le Prince plus agréable à qui sait lui plaire, plus fâcheux à qui lui déplaît ; plus sévère quand on manque, plus touché quand on a bien fait, etc., etc. » Saint-Évremond écrit pour la postérité. Le grand capitaine couvre, à ses yeux, toutes les misères de l’homme. La mort de Condé réveilla même en son âme ce sentiment élevé d’affection dévouée que tout soldat bien né ressent