Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’affaire ayant été au point où elle est venue, la rompre, quelle apparence ? que deviendrai-je ? Où est-il, Sire, M. de Lauzun ? — Ne vous mettez point en peine, répond le roi, on ne lui fera rien. — Ah ! Sire, je dois tout craindre pour lui et pour moi, puisque nos ennemis ont prévalu, sur la bonté que vous aviez pour lui. — Le roi se jeta à genoux en même temps que moi et m’embrassa. Nous fûmes trois quarts d’heure embrassés, sa joue contre la mienne ; il pleuroit aussi fort que moi : — Ah ! pourquoi avez-vous donné le temps de faire des réflexions ? que ne vous hâtiez-vous ? — Hélas ! Sire, qui se seroit méfié de la parole de Votre Majesté ? vous n’en avez jamais manqué à personne, et vous commencez par moi et M. de Lauzun ! Je mourrai, et je serai trop heureuse de mourir. Je n’avois jamais rien aimé de ma vie ; j’aimois, et passionnément et de bonne foi, le plus honnête homme de votre royaume. Je faisois mon plaisir et la joie de ma vie de son élévation. Je croyois passer ce qui m’en reste agréablement avec lui, à vous honorer, à vous aimer autant que lui. Vous me l’aviez donné, vous me l’ôtez, c’est m’arracher le cœur. — À ces mots, j’entendis tousser à la porte, du côté de la reine. Je dis au roi : À qui me sacrifiez-vous là, Sire ? Serait-ce à M. le Prince ? »

Le prince de Condé, en effet, étoit caché derrière la portière de la chambre, et il avertissoit Louis XIV d’en finir. « Le roi, continue la malheureuse, éleva la voix, afin qu’on l’entendît : Les rois, madame, doivent satisfaire le public. Il est tard ; je n’en dirois pas davantage, ni autrement, quand vous seriez ici plus longtemps. Il m’embrassa et