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qu’il avoit pris les armes et qu’il étoit à cheval,… ce prince étoit si dissemblable à lui-même,… qu’il n’arrivoit pas un plus grand changement au visage de la Pythie, lorsqu’elle rendoit des oracles, que celui qu’on voyoit en la personne du prince, dès qu’il avoit les armes à la main. On eût dit qu’un nouvel esprit l’animoit, et qu’il devenoit lui-même le dieu de la guerre. Son teint en devenoit plus vif, ses yeux plus brillants, sa main plus haute et plus fière, son action plus libre, sa voix plus éclatante, et toute sa personne plus majestueuse ; de sorte qu’au moindre commandement qu’il faisoit, il portoit la terreur dans l’âme de tous ceux qui l’environnoient. Il paroissoit pourtant toujours de la tranquillité dans son âme, malgré cette agitation héroïque. Sa présence avoit quelque chose de si divin et de si terrible tout ensemble, que l’on peut dire que quand il étoit à la tête de son armée, il ne fesoit pas moins trembler ses amis que ses ennemis4. » Voilà bien le portrait, d’après nature, de l’homme de guerre, et Bussy-Rabutin, qui n’est pas suspect, nous représente Condé couvert de sang et de feu, dans les tranchées de Mardyck, avec des couleurs absolument semblables. G’étoit l’image du dieu de la guerre, non-seulement pour la figure, mais encore pour l’action.

L’homme privé tenoit aussi de la nature les dons les plus heureux. C’étoit le plus dévoué, le plus attaché des amis. À Charenton, au fort de la mêlée, il émut son armée, en aidant de sa main, à porter son ami, le duc de Chatillon, blessé à mort à ses


4. Mlle de Scudéry, dans Cousin, Soc. française, I, p. 77.