Page:Œuvres de monsieur Nivelle de La Chaussée, 1762, tome 1.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Léonore & Damon sont formés l’un pour l’autre.
C’est moi qui vous apprends sa défaite & la vôtre.
L’hymen peut réparer les maux qu’il vous a faits.
Il forme quelquefois des liens pleins d’attraits.
Quand on dépend de soi, pour soi l’on se marie.

Léonore.

Ne me rappelle plus le malheur de ma vie,
Ni les égaremens d’un âge sans raison.
À peine j’achevois ma premiere saison,
On me tira du Cloître ; & j’entrai dans le monde,
Avec les préjugés dont la jeunesse abonde.
Une mere absolue, abusant de ses droits,
Avoit promis ma main, sans consulter mon choix.
Je me prévins d’abord. Mon dépit fut extrême.
Je croyois qu’on devoit m’obtenir de moi-même.
Je croyois mériter du moins quelques soupirs :
Mais, loin de s’abaisser à flatter mes desirs,
On ne m’honora pas d’une seule entrevue.
Je fus au temple ; & là, sans détourner la vûe,
Victime dévouée au cruel intérêt,
On me fit malgré moi prononcer mon arrêt.
Quel hymen ! Ou plutôt quelle union fatale !
L’aversion, sans doute, entre nous fut égale.
En sortant de l’autel, Sainflore disparut.
Moi-même je m’enfuis ; & mon époux mourut.
Mais j’ai connu l’erreur de mon antipathie.
Je crois, si mon époux n’eût pas perdu la vie,
Que sans doute l’hymen, mon devoir, & le tems,
Auroient mis dans mon cœur de plus doux sentimens.

Nérine.

En tout cas, par bonheur, il est en l’autre monde.