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Dornane.

Étoit devant mes yeux !…Éloignons cette idée ;
Puisqu’aussi-bien l’affaire est presque décidée.
D’ailleurs, ton désespoir m’étoit injurieux.
Suis-je donc un ami si frivole à tes yeux ?
Que le sort te trahisse, ou soit qu’il te seconde,
Mets-toi bien dans l’esprit que je n’ai rien au monde
Qui ne te soit acquis : je crois que là-dessus
Tu veux bien m’épargner des sermens superflus.
Bien souvent ce ne sont que des mots d’habitude
Qui joignent le parjure avec l’ingratitude.

Monrose.

Va, j’en suis convaincu ; ce n’est pas d’aujourd’hui :
Mais je ne veux pas être à la charge d’autrui.
Vous dirai-je pourtant que la froideur d’Ariste
Jette dans mon esprit un doute qui m’attriste ?

Dornane.

C’est un homme fâché, qui voit avec dépit
Que nous n’ayons point eu recours à son crédit.
Eh ! combien n’est-il pas de ces gens tyranniques,
De ces jaloux amis qui veulent être uniques ;
Assez durs, pour trouver mauvais qu’un malheureux
Leur fasse voir enfin qu’on peut se passer d’eux ?
Heureux, qui peut ainsi mortifier leur gloire,
Et venger l’amitié !… Mais, si tu veux m’en croire,
Le tems est cher, il faut, & même dès ce jour,
Aller tête levée, & paroître à la Cour.

Monrose.

Oui, c’est bien mon dessein, dès que je serai quitte
Du rendez-vous d’Ariste.