Page:Œuvres de monsieur Nivelle de La Chaussée, 1762, tome 1.djvu/230

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De toutes mes terreurs, il m’en reste encore une,
Qui malheureusement est la plus importune.
Me garantiras-tu ?… Mais tu ne le peux pas…
En renouant des nœuds pour moi si pleins d’appas,
Retrouverai-je encor sa première tendresse,
Cette conformité, cette même foiblesse,
Ce penchant naturel, ce rapport enchanteur,
Que le ciel pour moi seul avoit mis dans son cœur,
Et que je trouve encor dans le fond de mon ame ?
J’ai cessé trop long-tems d’entretenir sa flamme.
Eh ! de quoi son amour se seroit-il nourri ?
Dans le fond de son cœur il doit avoir péri.
Ce soupçon est fondé sur trop de circonstances.
Vois comme elle a souffert toutes mes instances.
Non, de si grands chagrins ne sont point si secrets ;
Ils s’exhalent en pleurs, en soupirs, en regrets.
M’a-t-elle seulement honoré de ses larmes ?
En a-t-elle perdu le moindre de ses charmes ?

Damon.

Ah ! ne t’y trompe pas ; c’est un calme apparent,
Et d’un cœur vertueux c’est l’effort le plus grand.
On ménage un ingrat qu’on trouve encore aimable.
Peut-être que d’ailleurs cette épouse estimable,
Ne sçait pas à quel point ses malheurs ont été :
Tous tes égaremens n’ont point trop éclaté.
Une femme sensée est fort peu curieuse
De ce qui peut la rendre encor plus malheureuse.
En tout cas, sa vertu te répond…