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On s’enrichit du bien qu’on fait à ce qu’on aime.

Damon.

Mais tu dois lui causer un embarras extrême.
Que peut-elle penser ?… Durval, y songes-tu ?

Durval.

Oui, je viens de jouir de toute sa vertu.
J’ai vû le trouble affreux dont son ame est atteinte ;
Cependant je feignois, en écoutant sa plainte ;
J’affectois un air libre, & vingt fois j’ai pensé
Me déclarer… Tu vas me traiter d’insensé.
Malgré tout cet amour dont je t’ai rendu compte,
Je me sens retenu par une fausse honte.
Un préjugé fatal au bonheur des époux,
Me force à lui cacher un triomphe si doux.
Je sens le ridicule où cet amour m’expose.

Damon.

Comment ! du ridicule !… Et quelle en est la cause ?
Quoi ! d’aimer sa femme ?

Durval.

Quoi ! d’aimer sa femme ?Oui, le point est délicat :
Pour plus d’une raison, je ne veux point d’éclat ;
Je n’ai déjà donné sur moi que trop de prise…
Ce raccommodement devient une entreprise…
J’avois imaginé d’obtenir de la Cour
Un congé pour passer deux mois dans ce séjour,
Sous prétexte de faire ici ton mariage.
Damon, voilà pourquoi Constance est du voyage :
J’y croyois être libre & seul avec les miens,
Je comptois y trouver en secret des moyens