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Du sort de ton épouse adoucis la rigueur ;
L’esprit doit réparer les caprices du cœur.
C’est trop d’y joindre encore un mépris manifeste ;
Souvent les procédés font excuser le reste.

Durval, après avoir regardé par-tout.

Je crois tous nos chasseurs dans son appartement…
Pour nous entretenir, choisissons ce moment.

(Il soupire.)

Cher ami, qu’envers toi je me trouve coupable !
Je t’ai fait un secret dont la charge m’accable ;
Je t’ai craint ; j’ai prévu tes conseils, des discours,
Que ma foible raison me rappelle toujours.
Quand j’ai voulu parler, la honte m’a fait taire ;
Et je crains qu’entre nous l’amitié ne s’altere.

Damon.

Durval, j’ai des défauts, & même des plus grands ;
Mais je n’ai pas celui d’être de ces tyrans
Qui font de leurs amis de malheureux esclaves ;
Leur pénible amitié n’est que fers & qu’entraves ;
Toujours jaloux, & prêts à se formaliser,
Il leur faut des sujets qu’ils puissent maîtriser.
Mais la vraie amitié n’est point impérieuse ;
C’est une liaison libre & délicieuse,
Dont le cœur & l’esprit, la raison & le tems,
Ont ensemble formé les nœuds toujours charmans ;
Et sa chaîne, au besoin, plus souple & plus liante,
Doit prêter de concert, sans qu’on la violente.
Voilà ce qu’avec vous jusqu’ici j’ai trouvé,
Et qu’avec moi, je crois, vous avez éprouvé.