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Ma crainte cependant n’est pas moins légitime.
Je veux bien pour Damon avoir un peu d’estime,
Plus que je n’en avoue, & que je ne m’en crois :
Peut-être, si mon sexe abusé tant de fois,
Pouvoit espérer d’être heureux en mariage,
Je choisirois Damon… L’exemple me rend sage :
Madame, j’ai des yeux, & je vois assez clair.
Je remarque aujourd’hui qu’il n’est plus du bon air
D’aimer une compagne à qui l’on s’associe.
Cet usage n’est plus que chez la Bourgeoisie :
Mais ailleurs on a fait de l’amour conjugal
Un parfait ridicule, un travers sans égal.
Un époux à présent n’ose plus le paroître ;
On lui reprocheroit tout ce qu’il voudroit être.
Il faut qu’il sacrifie au préjugé cruel
Les plaisirs d’un amour permis & mutuel.
En vain il est épris d’une épouse qui l’aime ;
La mode le subjugue en dépit de lui-même ;
Et le réduit bientôt à la nécessité
De passer de la honte à l’infidélité.

Argant.

Où peut-elle avoir pris une idée aussi creuse ?

Sophie, en montrant Constance.

Sur tout ce que je vois.

Argant.

Sur tout ce que je vois.Elle se dit heureuse.

Sophie.

Constance ! Heureuse, elle.

Constance, avec vivacité.

Constance ! Heureuse, elle.Oui, Madame, je le suis.