Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/96

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De tous ceux que je vis le plus tourmentés par des terreurs de cette nature, un pauvre homme avec qui je voyageai un jour et demi, fut celui qui me divertit le plus. Il avait sur sa selle un porte-manteau fort petit, mais probablement fort pesant, dont il paraissait prendre un soin extrême, ne le perdant jamais de vue, et le soustrayant toujours au zèle officieux des domestiques et des hôtes qui lui offraient leurs services pour le porter dans la maison. Il prenait les mêmes précautions pour cacher non seulement le but de son voyage et l’endroit où il devait s’arrêter, mais encore la direction qu’il devait suivre le jour suivant. Rien ne l’embarrassait plus que les questions : « Allez-vous vers le nord ? en venez-vous ? à quel relais comptez-vous débrider ? » Il s’occupait avec une vive inquiétude des auberges où il passerait la nuit, évitant les lieux écartés et tout ce qu’il considérait comme un mauvais voisinage. À Grantham, je crois, il passa toute la nuit à table, pour ne pas coucher dans une chambre voisine de celle qu’occupait un gros homme louche, à perruque noire, et portant une veste à broderies d’or presque passées. Malgré toutes ces inquiétudes qui lui rongeaient l’esprit, mon compagnon de voyage, à en juger par son extérieur, était autant que personne capable de se défendre. Il était robuste et bien membru ; son chapeau galonné et sa cocarde semblaient indiquer qu’il avait servi, ou du moins qu’il appartenait de manière ou d’autre à l’armée. Sa conversation, quoique toujours assez vulgaire, était celle d’un homme de sens, quand les terribles frayeurs qui troublaient son imagination laissaient un instant de repos à son esprit. Mais la moindre circonstance le mettait au supplice : une vaste bruyère, un bois touffu, suffisaient pour le faire trembler ; le sifflet d’un berger était pour lui le signal d’un brigand ; la vue même d’un gibet, en lui montrant qu’un voleur avait passé par les mains de la justice, ne manquait pas de lui rappeler combien il en restait encore à pendre…

Pareille compagnie m’eût semblé insupportable si j’eusse été moins las de mes solitaires réflexions. D’ailleurs, quelques-unes des merveilleuses histoires qu’il comptait avaient par elles-mêmes quelque intérêt, et la bizarrerie des détails dont il les ornait me fournit quelquefois l’occasion de m’amuser à ses dépens. Dans ses récits, presque tous les voyageurs dépouillés par des brigands devaient ce malheur à la rencontre qu’ils avaient faite d’un étranger bien vêtu et agréable causeur, dont la compagnie promettait amusement et protection ; qui charmait la route par des récits et