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Au commencement du dix-huitième siècle, quand (Dieu m’est en aide !) j’étais un jeune homme de vingt ans, je fus tout à coup rappelé de Bordeaux pour servir mon père dans une affaire importante. Je n’oublierai jamais notre première entrevue. Vous savez la manière brève, brusque et sévère dont il faisait connaître ses volontés à ceux qui l’entouraient. Il me semble le voir encore, la tête droite et ferme, la démarche vive et résolue, l’œil pénétrant, la figure déjà ridée par les inquiétudes, et entendre ses paroles, dont aucune n’était jamais inutile, prononcées d’une voix souvent rude, mais dont la rudesse était loin d’être passée dans son âme.

À peine descendu de cheval, je courus à l’appartement de mon père. Il s’y promenait alors de l’air calme d’un homme qui délibère avec lui-même, et que ne put troubler la présence d’un fils unique, quoique nous ne nous fussions pas vus depuis quatre ans. Il était bon père, mais sans excès, et une larme ne brilla qu’un instant dans ses yeux.

« Dubourg m’écrit qu’il est content de vous, Frank.

— J’en suis charmé, monsieur…

— Mais, moi, j’ai moins sujet de l’être, » ajouta-t-il en s’asseyant à son bureau.

— J’en suis désolé, monsieur…

Charmé, désolé, Frank, sont des mots qui le plus souvent ne signifient rien. Voici votre dernière lettre. »

Il la prit au milieu de plusieurs autres réunies par un morceau de ficelle rouge, et soigneusement mises en liasse et étiquetées. Là gisait ma pauvre épître sur le sujet le plus intéressant pour moi alors, et dans un style que je croyais capable de toucher, sinon de convaincre ; là, dis-je, elle gisait enfouie au milieu de lettres concernant les différentes affaires dans lesquelles mon père se trouvait chaque jour engagé par son commerce. Je ne puis m’empêcher de sourire en songeant au sentiment de vanité blessée et de dépit avec lequel je regardais ma remontrance qui m’avait, je vous l’assure, coûté quelque peine à composer, quand je la vis tirer d’une liasse de lettres d’avis, de crédit, de tout ce fatras enfin, comme je l’appelais alors, d’une correspondance commerciale. Sans doute, pensais-je, une lettre de cette importance (je n’osais pas me dire aussi bien écrite) méritait une place à part, et une plus sérieuse attention que celles qui ne traitent que des affaires courantes d’une maison de banque.

Mon père ne remarqua point ma mauvaise humeur ; l’eût-il