Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/60

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dans un profond accablement de corps et d’esprit. Cet état n’empêcha pas Allan Breck Stewart de le menacer de lui donner la mort pour se venger du complot qu’il avait formé contre lui[1]. Le clan Sterwart avait pour lui la haine la plus vive, et sa dernière expédition à Londres avait été accompagnée de plusieurs circonstances propres à éveiller des soupçons ; entre autres, celle d’avoir caché son dessein à son chef Bohaldie. On soupçonnait encore ses relations avec lord Holdernesse. Les Jacobites, comme don Bernard de Castel Blazo dans Gil Blas, n’étaient pas fort bien disposés envers ceux qui faisaient société avec les alguazils. Macdonnell de Lochgarry, homme toujours fidèle à l’honneur, fit une déposition contre James Drummond par-devant le grand-bailli de Dunkerque, l’accusant d’espionnage : il lui fallut quitter la ville et s’enfuir à Paris, n’ayant que treize livres pour toute fortune, et pour perspective la plus affreuse misère.

Nous ne présenterons pas ce hardi pillard, complice de l’assassinat de Mac-Larens, et instigateur de la violence faite à Jeanne Key, comme un objet de compassion ; mais si les dernières convulsions d’un loup ou d’un tigre, formidables ennemis de notre espèce, inspirent quelque pitié, la détresse absolue de cet homme, dont les fautes doivent être attribuées à l’influence d’une éducation sauvage sur un caractère hardi, excitera quelque pitié chez le lecteur. Dans sa dernière lettre à Bohaldie, datée de Paris, 25 septembre 1754, il peint son état de dénûment absolu, et dit qu’il

  1. Allan Breck Stewart était homme, en pareille circonstance, à tenir sa parole. James Drummond, Mac-Gregor et lui, de même que Katherine et Petruchio, auraient été nommés avec raison « une couple de braves gens. » Allan Breck vécut jusqu’au commencement de la révolution française. En 1789, un de mes amis, résidant alors à Paris, fut invité à voir passer une procession qui devait probablement l’intéresser, des fenêtres d’un appartement occupe par un prêtre écossais de l’ordre de Saint-Benoît. Il trouva assis au coin du feu un grand homme maigre, décharné, l’air refrogné, la croix de Saint-Louis à sa boutonnière ; sa mâchoire et son menton extrêmement saillants, donnaient à son visage une expression singulière ; ses yeux étaient gris ; on voyait que sa chevelure grisonnante avait été rouge ; sa peau était hâlée et d’une teinte singulièrement rousse. Ce vieillard et mon ami échangèrent quelques propos en français ; ils vinrent à parler des rues et des places de Paris, lorsque le vieux militaire, car il en avait la tournure et il l’était en effet, dit en poussant un profond soupir et avec un accent highlandais bien marqué : « Le diable m’emporte si aucune vaut la grande rue d’Édimbourg ! » Mon ami apprit que cet admirateur d’Audl Reckie (Édimbourg), qu’il ne devait plus jamais revoir, était Allan Breck Stewart.