Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/480

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comme si, semblable à Iago, il eût résolu de ne pas prononcer une parole. Nous le transportâmes dans la voiture, et rendîmes le même service à un autre homme de l’escorte étendu blessé sur le champ de bataille. Je fis comprendre à Jobson, non sans peine, qu’il fallait qu’il montât aussi dans la voiture pour soutenir Rashleigh pendant la route. Il obéit, mais comme s’il n’eût conçu qu’à moitié ce que je venais de lui dire. André et moi, après avoir ouvert la porte de l’avenue, et fait tourner les chevaux, nous conduisîmes lentement la voiture jusqu’à Osbaldistone-Hall.

Quelques-uns des fuyards y étaient déjà arrivés par différents détours, et avaient répandu l’alarme parmi ceux qui y étaient restés en annonçant que sir Rashleigh, le procureur Jobson et toute leur escorte, excepté eux qui en apportaient la nouvelle, avaient été taillés en pièces par un régiment de féroces montagnards. Aussi, quand nous y arrivâmes, entendîmes-nous un bourdonnement semblable à celui des abeilles alarmées qui se préparent à défendre leur demeure. M. Jobson, qui commençait à reprendre ses sens, trouva pourtant assez de voix pour se faire reconnaître. Il était d’autant plus empressé de sortir de la voiture qu’un de ses compagnons, officier de justice, venait, à son inexprimable terreur, d’expirer à ses côtés en poussant un gémissement épouvantable.

Sir Rashleigh Osbaldistone vivait encore, mais la blessure qu’il avait reçue était si terrible, qu’à proprement parler le fond de la voiture était rempli de son sang, et qu’on en put suivre la trace depuis le péristyle jusqu’à la salle à manger où on le plaça sur une chaise : quelques-uns s’efforçaient d’arrêter le sang avec des bandages ; les autres criaient qu’il fallait appeler un chirurgien, et personne ne s’empressait de l’aller chercher.

« Ne me tourmentez pas, dit le blessé ; je sens que tout secours est inutile. Je suis un homme mort. » Il se redressa sur sa chaise, quoique la pâleur et la sueur de la mort fussent déjà répandues sur sa figure, et avec une fermeté qui semblait au-dessus de ses forces : « Cousin Francis, me dit-il, approchez-vous. » Je m’approchai. « Je ne veux que vous dire que les angoisses de la mort ne changent rien à mes sentiments pour vous. Je vous hais, » poursuivit-il avec une expression de rage qui donnait un affreux éclat à ses yeux prêts à se fermer pour jamais ; « je vous hais en ce moment où mon sang coule et où je vais expirer devant vous, avec la même violence que si, après vous avoir terrassé, je mettais le pied sur votre poitrine.