Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/477

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versa un grand verre d’une main tremblante : mais quand il vit que nous remarquions son agitation, il s’en rendit maître par un violent effort, et, nous regardant avec un grand calme, il porta le verre à sa bouche sans en répandre une seule goutte :

« C’est le vieux bourgogne de mon père, dit-il à Jobson ; je suis bien aise qu’il en reste encore. Vous aurez soin de placer ici des gens sûrs pour garder la maison, et de mettre à la porte ce vieux radoteur et cette espèce d’imbécile écossais (désignant Syddall et André) ; puis, nous conduirons ces trois personnes en lieu de sûreté, » ajouta-t-il en se tournant vers nous. « J’ai fait préparer le vieux carrosse de famille pour ce voyage, quoique je n’ignore pas que cette jeune dame pourrait braver l’air de la nuit à pied ou à cheval, si cette excursion était de son goût. »

André se tordait les mains. « J’ai seulement dit, s’écria-t-il, que mon maître parlait sûrement à un revenant dans la bibliothèque. Ce coquin de Lancy ! trahir un vieil ami avec lequel il a chanté pendant vingt ans les mêmes psaumes dans le même livre ! »

On le chassa de la maison ainsi que Syddall, sans lui laisser le temps d’achever ses lamentations. Son expulsion, toutefois, eut de singulières conséquences. Ayant résolu, comme il me le dit ensuite, d’aller passer le reste de la nuit chez une vieille femme, appelée la mère Simpson, qui, en faveur de leur ancienne connaissance, ne pouvait refuser de lui donner un gîte, il venait de sortir de l’avenue et entrait dans un endroit appelé le Vieux-Bois, quoiqu’il servît de pâturage, lorsque tout à coup il se trouva au milieu d’un troupeau de bœufs qui paraissait devoir y passer la nuit. Il en fut peu surpris, car il savait que la coutume de ses compatriotes, en conduisant leurs bestiaux, était de se retirer à nuit close dans les meilleurs pâturages et d’en partir avant l’aurore, afin d’éviter de payer leur gîte. Mais il fut aussi effrayé qu’étonné quand un montagnard, s’élançant sur lui, l’accusa de déranger son troupeau, et refusa de le laisser passer qu’il n’eût parlé à son maître. Le montagnard conduisit André dans un taillis où se trouvaient trois ou quatre autres de ses compatriotes. « Et je vis tout de suite, dit André, qu’ils étaient trop nombreux pour conduire un troupeau de bœufs ; et par les questions qu’ils me firent, je jugeai qu’ils avaient d’autres affaires en tête. »

Ils l’interrogèrent en détail sur tout ce qui s’était passé au château d’Osbaldistone, et parurent écouter avec surprise et intérêt le récit des événements qui venaient d’y avoir lieu.