Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/42

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peau considérable ; ils trièrent avec précaution les bestiaux que leur maître avait perdus, et se mirent en mesure de leur faire gravir la montagne. Mais, au même instant ils entendirent des cris de fureur ; surpris et épouvantés, ils regardèrent autour d’eux et aperçurent une femme qui semblait être sortie de terre et qui criait après eux en gaélique. Ayant réussi pourtant à lui faire comprendre de leur mieux dans la même langue les ordres de Rob-Roy, elle se tut, et se retira sans leur chercher plus longtemps querelle. À leur retour, le chef écouta leur rapport, et parla avec beaucoup de complaisance de son talent pour rétablir chacun dans ses droits sans plus de bruit. La troupe se mit alors en route pour s’en retourner ; les dangers, sinon les fatigues de l’expédition, finirent là.

Ils marchèrent jusqu’à la nuit, sans presque se reposer ; alors Rob proposa de s’arrêter dans une lande sauvage, à travers laquelle un vent froid du nord-est, poussant avec force un givre épais, sifflait sur l’air de Strath-Dearn[1] Les montagnards, enveloppés dans leurs plaids, ne furent pas encore trop mal couchés dans la bruyère ; mais les hommes des basses terres n’avaient rien pour se couvrir : ce dont Rob s’apercevant, il ordonna à un des gens de sa troupe de partager son manteau avec le vieillard : « Quant à ce jeune gaillard, dit-il, il peut se tenir chaud en marchant et en surveillant les bestiaux. » Mon narrateur n’entendit cet arrêt qu’avec le plus vif désespoir ; et, comme le vent devenait de plus en plus piquant, il crut que son sang allait se glacer dans ses veines. Il avait été toute sa vie exposé aux intempéries du ciel, disait-il, mais il ne put jamais oublier le froid de cette nuit-là ; dans l’amertume de son cœur, il maudissait la lune qui donnait tant de lumière et point de chaleur. À la fin, il se trouva tellement engourdi, tellement fatigué, qu’il se détermina à déserter son poste pour chercher un abri. Dans cette intention, il se coucha derrière un des plus corpulents montagnards, le lieutenant de la troupe ; mais, non content de l’abri que lui donnaient ses larges épaules, il convoita une partie de son plaid, et, le tirant peu à peu, il finit par s’entortiller dans un des coins. Comparativement, il était alors dans le paradis, et dormit d’un sommeil profond jusqu’à la pointe du jour. Lorsqu’il s’éveilla, il fut terriblement épouvanté de voir qu’il avait entièrement découvert le cou et les

  1. On appelle ainsi des vents qui soufflent dans une vallée sauvage du Badenoch.