Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/410

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Miss Vernon tira un portefeuille de dessous son manteau, et se penchant vers moi, me dit d’un ton qui, malgré l’enjouement et l’originalité d’expression qui lui étaient habituels, déguisait mal un sentiment plus sérieux et plus profond : « Vous voyez, mon cher cousin, que je suis destinée à être votre ange tutélaire. Rashleigh a été forcé de lâcher sa proie ; et si nous fussions arrivés la nuit dernière au village d’Aberfoïl, comme nous nous le proposions, j’aurais trouvé quelque sylphe montagnard qui se serait chargé de vous transmettre ces signes représentatifs de la richesse commerciale. Mais il y avait sur la route des géants et des dragons ; et les chevaliers errants ainsi que les damoiselles de nos jours, tout intrépides qu’ils soient, ne se soucient pas, comme au temps jadis, de se précipiter dans d’inutiles dangers. Imitez-les en cela, mon cher cousin.

— Diana, dit son compagnon, rappelez-vous que la soirée s’avance, et que nous sommes encore bien loin d’être arrivés.

— Je viens, monsieur, dit-elle, je viens. Songez qu’il y a bien peu de temps que je suis soumise à une autre volonté que la mienne. D’ailleurs, je n’ai pas encore remis les papiers à mon cousin, et il faut que je lui fasse mes derniers adieux. Oui, Frank, mes derniers adieux ! Il y a un abîme entre nous, un abîme de perdition absolue. Il vous est défendu de nous suivre où nous allons, de participer à ce que nous allons faire. Adieu ! soyez heureux ! »

Elle s’était courbée sur son cheval, qui était un petit bidet montagnard ; dans cette attitude, son visage toucha le mien par un mouvement qui ne fut peut-être pas tout à fait involontaire : elle me serra la main, et une larme s’échappant de ses yeux vint tomber sur ma joue. C’est un de ces moments qu’on ne peut jamais oublier, de ces moments dont l’inexprimable amertume est mêlée d’une sensation de bonheur si pénétrante et si vive, que le cœur est forcé de soulager par des larmes les émotions qui le remplissent. Il fut bien court ; car, maîtrisant à l’instant la sensibilité qui l’avait entraînée, elle dit à son compagnon qu’elle était prête à le suivre ; et, faisant prendre le grand trot à leurs chevaux, ils furent bientôt loin de moi.

Ce ne fut pas une froide indifférence, mais une sorte de stupeur, qui m’empêcha de répondre à cet adieu de miss Vernon : je voulais prononcer ce mot, mais il expira sur mes lèvres : tel l’accusé qui se reconnaît coupable, hésite à prononcer la fatale parole qui