Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/299

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Conformément à ma promesse je me rendis ensuite chez le bailli Nicol Jarvie. Un bon déjeuner avait été préparé dans le parloir où se tenait ordinairement ce digne magistrat : chez lui cette pièce servait à plusieurs usages. Aussi empressé que bienveillant, il avait tenu parole, et je trouvai près de lui mon ami Owen, qui s’étant amplement servi de la brosse, des rasoirs et de l’aiguière, était un homme tout différent d’Owen prisonnier avec une longue barbe et un visage pâle et abattu. Cependant le sentiment des embarras pécuniaires dont il était entouré de tous côtés occupait vivement son esprit, et l’embrassement presque paternel que je reçus de ce brave homme fut accompagné d’un soupir arraché par la plus pénible inquiétude. Pendant le déjeuner, son regard fixe, et son air soucieux, si différent de la sérénité imperturbable qui régnait ordinairement sur son visage, indiquaient qu’il employait toute son arithmétique à calculer intérieurement le nombre de jours, d’heures et de minutes qui devaient encore s’écouler avant l’échéance des lettres de change dont le non paiement allait déshonorer et perdre le grand établissement commercial d’Osbaldistone et Tresham. Je me trouvai donc seul chargé de faire honneur à l’hospitalité de notre hôte ; à son thé, venant en droite ligne de la Chine, et qu’il avait reçu en présent, me dit-il, d’un armateur de Wapping ; à son café, recueilli sur une petite plantation qu’il possédait, me dit-il en clignant de l’œil, dans l’île de la Jamaïque, et qu’on appelait le Bois de Salt-Market ; enfin à son ale d’Angleterre, à son saumon sec écossais, à ses harengs de Lochfine, et même à sa nappe de double damas, tissue, comme vous le devinez, de la propre main de feu son père le digne diacre Jarvie.

M’étant concilié la bienveillance de notre hôte par ces petites attentions qui gagnent le cœur de la plupart des hommes, et le voyant de la meilleure humeur, j’essayai à mon tour d’en obtenir quelque renseignement qui pût me servir de règle de conduite et satisfaire en même temps ma curiosité. Nous n’avions encore jusque là fait aucune allusion aux événements de la nuit précédente, ce qui fit peut-être que ma question lui parut un peu brusque, lorsque, abordant le sujet sans préambule, je profitai d’une pause qui eut lieu après l’histoire de la nappe, qu’allait suivre celle des serviettes, pour lui dire : « À propos, monsieur Jarvie, dites-moi donc, je vous prie, quel est ce M. Robert Campbell que nous avons rencontré cette nuit. »