Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/230

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d’infortunes mystérieuses un prétexte pour remplir d’amertume le peu d’heures que nous avons à passer ensemble sur cette rive de l’éternité. »

Je ne sais, Tresham, par quel charme cette divine créature obtenait un empire si absolu sur mon caractère, que souvent je ne pouvais maîtriser moi-même. J’étais résolu, en entrant dans la bibliothèque, à avoir une explication avec miss Vernon. Elle me l’avait refusée avec une fierté dédaigneuse, et m’avait avoué en face qu’elle me préférait un rival ; car comment interpréter autrement la préférence qu’elle accordait à son mystérieux conseiller ? Et cependant, quand j’allais sortir de l’appartement et rompre avec elle pour toujours, il lui suffit de changer de ton, de quitter celui du dépit et du dédain pour prendre une expression d’autorité bienveillante tempérée par un sentiment de tristesse, pour me ramener à ma place, comme un sujet soumis aux dures conditions qu’elle m’imposait.

« À quoi cela sert-il ? dis-je en m’asseyant… À quoi cela peut-il servir, miss Vernon ? Pourquoi vouloir me rendre témoin de peines que je ne puis soulager et de mystères qu’on ne peut chercher à découvrir sans vous offenser ? Bien que sans expérience, vous devez savoir qu’une femme jeune et belle ne peut avoir deux amis. Je serais jaloux si un ami confiait à un autre un secret qu’il me cacherait ; mais avec vous, miss Vernon…

— Vous êtes jaloux, je le vois, dans tous les temps et tous les modes de cette charmante passion ? Mais, mon bon ami, vous n’avez fait que me débiter tous ces sots bavardages qu’on trouve dans les romans et les chansons, et qu’on répète jusqu’à ce qu’ils acquièrent sur l’esprit une influence réelle. Les jeunes gens et les jeunes filles babillent jusqu’à ce qu’ils soient amoureux ; puis quand leur amour va s’endormir, ils babillent pour devenir jaloux. Mais vous et moi, Franck, nous sommes des êtres raisonnables, qui ne devons avoir que des relations d’une amitié franche et désintéressée. Toute autre union entre nous est aussi impossible que si j’étais homme, ou que vous fussiez femme. Pour parler franchement, ajouta-t-elle après un moment d’hésitation, quoique je veuille bien déférer encore assez aux convenances pour rougir un peu d’une explication aussi claire, nous ne pourrions nous marier, quand nous le voudrions, et nous ne le devrions pas quand nous le pourrions.

En effet, Tresham, elle rougit d’une manière angélique en me