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à-tête. Le matin nous faisions ordinairement une lecture ensemble dans cette pièce ; mais alors il arrivait souvent que quelques-uns de nos cousins entraient afin de prendre quelque vieux livre pour en faire des bourres de fusil, sans égard pour ses dorures et ses enluminures, ou pour nous dire de quel côté se dirigeait la chasse, ou enfin parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire. Enfin, la bibliothèque était le matin une sorte de salle commune, où les deux sexes pouvaient se rencontrer comme sur un terrain neutre. Le soir c’était différent ; élevé dans un pays où l’on est (du moins on l’était alors) très-scrupuleux sur les bienséances, je désirais montrer de la réserve et une observation des convenances que l’inexpérience de miss Vernon lui faisait négliger. Je lui fis donc comprendre, aussi délicatement que je pus, qu’il était convenable qu’un tiers fût présent à nos études du soir.

Miss Vernon en rit d’abord, puis rougit, et parut prête à se fâcher ; mais, changeant tout à coup d’idée, elle me dit : « Je crois que vous avez raison, et quand je me sentirai un grand désir de me livrer à l’étude, j’engagerai la vieille Martha à venir prendre une tasse de thé avec nous pour me servir de paravent. »

Martha, la vieille femme de charge, partageait les goûts des autres habitants du château ; une bouteille et une rôtie lui plaisaient plus que tout le thé de la Chine. Cependant, comme l’usage de cette boisson était réservé aux personnes comme il faut, Martha était flattée de l’invitation ; et au prix d’une grande consommation de sucre, de pain rôti et de beurre, nous obtenions quelquefois d’elle qu’elle nous tînt compagnie. Du reste, tous les domestiques évitaient d’approcher de la bibliothèque dès que la nuit était venue, parce qu’ils croyaient que cette partie du château était hantée par des esprits. Les plus poltrons avaient entendu du bruit quand tout le monde était endormi, et même les jeunes squires n’aimaient point à entrer sans nécessité dans cette redoutable enceinte.

L’idée que la bibliothèque avait été pendant quelque temps la retraite favorite de Rashleigh, qu’une porte secrète communiquait de cette pièce à l’appartement éloigné et isolé qu’il s’était choisi, loin de détruire les terreurs qu’inspirait ce lieu, les avait encore augmentées. La connaissance circonstanciée qu’il avait de ce qui se passait dans le monde, sa profonde instruction dans toute espèce de sciences, quelques expériences physiques qu’il avait faites devant toute la famille, suffisaient dans cette maison