Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extraordinaire de miss Vernon, qu’elle-même semblait ne pas connaître, sa position singulière et mystérieuse, les malheurs auxquels elle était exposée, le courage avec lequel elle les attendait, ses manières plus franches qu’il n’appartenait à son sexe, mais d’une franchise qui naissait de son innocence, et par-dessus tout la bienveillante et flatteuse distinction qu’elle faisait en ma faveur : tout se réunissait pour exciter ma curiosité, éveiller mon imagination et flatter ma vanité. Je n’osais, toutefois, m’avouer à moi-même le profond intérêt que m’inspirait miss Vernon, ou la large part qu’elle avait dans mes pensées. Nous lisions, nous nous promenions ; nous nous reposions ensemble. Les études qu’elle avait interrompues lors de sa rupture avec Rashleigh, elle les reprit sous les auspices d’un maître dont les vues étaient plus pures, quoique ses talents fussent plus bornés.

En effet, j’étais incapable de l’aider dans quelques études profondes qu’elle avait commencées avec Rashleigh, et qui me semblaient convenir plutôt à un homme d’Église qu’à une jolie femme. Et je ne puis même concevoir pourquoi il avait engagé Diana dans le labyrinthe inextricable de subtilités qu’on est convenu d’appeler philosophie, et dans les sciences aussi abstraites, quoique plus certaines, des mathématiques et de l’astronomie ; à moins qu’il ne voulût par là effacer dans son esprit la différence entre les sexes, et l’habituer aux subtilités de raisonnement dont il pourrait se servir plus tard pour donner au mal l’apparence du bien. C’était dans le même esprit, quoique avec une intention perfide moins dissimulée, qu’il avait encouragé miss Vernon à laisser de côté et à mépriser ces formes et ces convenances dont les femmes s’entourent comme d’un rempart dans la société moderne. Il est vrai que, séparée de la compagnie de personnes de son sexe, elle ne pouvait apprendre les règles de la bienséance ni par des leçons, ni par des exemples ; cependant telle était la réserve naturelle et la délicatesse de son esprit à discerner le mal et le bien, qu’elle n’eût point adopté d’elle-même ces manières libres et cavalières qui me causèrent tant de surprise au premier abord, si on ne lui eût fait croire que le mépris des convenances ordinaires annonçait à la fois la supériorité d’esprit et la confiance de l’innocence. Son infâme maître avait sans doute ses vues quand il détruisit ces remparts que la prudence et la réserve élèvent autour de la vertu. Mais pour ce crime et tous les autres, il a répondu depuis long-temps devant le tribunal suprême.